jeudi 28 juillet 2016

Vocation œcuménique de Chevetogne Deuxième partie actualité

Voici la seconde partie de ma conférence à Clervaux, il y a deux ans. Je l'ai légèrement remaniée, en fonction de faits nouveaux survenus depuis lors

Actualité œcuménique
 Dans cette troisième partie de mon exposé, je voudrais évoquer l'actualité œcuménique. Où en est- on pour le moment ? Après une période d'euphorie et d'espoirs immenses, il semble un peu qu'on traverse le désert. Après le printemps, le gel semble être revenu. Ne dramatisons pas et considérons quand même les résultats obtenus et le chemin parcouru. D'autre part, il ne faut pas séparer la crise actuelle du travail pour l'unité de la crise spirituelle globale de nos sociétés occidentales. Les églises sont vides, les assemblées de plus en plus vieillissantes. L’œcuménisme n'est donc plus une priorité semble-t-il. L'évangélisation serait dans ce contexte une tâche plus urgente. Quand il lança le mouvement liturgique, quand il s'embarqua dans l'aventure unioniste, dom Lambert Beauduin vivait dans une Belgique, massivement catholique pratiquante, avec des références communes solides. Nous, nous vivons dans le contexte de la sécularisation, voire de l'apostasie généralisée. Il n'en reste pas moins que dans le contexte de la nouvelle évangélisation, le travail pour l'unité garde toute sa valeur. Résonne ainsi la parole du Christ: Qu'ils soient un afin que le monde croie. 


  Commençons par l'orthodoxie. 
Le pape François a rencontré plusieurs fois le patriarche Bartholomée de Constantinople; la plus célèbre de ces rencontres est celle qui a eu lieu à Jérusalem, le 25 mai 2014. L’Église russe avait malheureusement peu auparavant apporté une note discordante dans le concert.  Depuis la rencontre entre Paul VI et Athénagoras, le 5 janvier 1964, jusqu’à nos jours, le dialogue œcuménique entre Rome et les Églises d'Orient a parcouru un chemin notable. Et il n’a pas eu peur de mettre en discussion même la question brûlante de la primauté du pape. Le document de base de la discussion à propos du rôle universel de l’évêque de Rome a été mis au point à Ravenne, en 2007, par une équipe conjointe d’évêques et de théologiens appelée "commission mixte internationale pour le dialogue théologique entre l’Église catholique romaine et l’Église orthodoxe". Ce document de Ravenne n'a jamais été approuvé par l’Église russe.  L’Église orthodoxe russe était absente de la rencontre de Ravenne, en raison d’un désaccord qu’elle avait avec le patriarcat œcuménique de Constantinople. Une absence qui pesait lourd, parce que l’Église russe représente de loin la partie la plus consistante de tout le monde orthodoxe. Ce désaccord intra-orthodoxe fut par la suite aplani et l’Église russe elle-même accepta de s’unir au dialogue, sur la base du document de Ravenne et d’un document de travail ultérieur portant sur le rôle de la papauté au cours du premier millénaire, qui avait été rédigé en Crète par une sous- commission en 2008. Mais les objections soulevées par l’Église russe lors de deux rencontres, l’une à Chypre en 2009 et l’autre à Vienne en 2010, furent assez nombreuses et assez graves pour freiner tout rapprochement entre les parties en présence. La délégation russe demanda et obtint que le document de travail rédigé en Crète soit déclassé et réécrit de fond en comble par une nouvelle sous-commission. Et elle exprima également des critiques substantielles à propos du document de Ravenne. Ainsi donc de Moscou vient un « niet » complet à l'idée de primauté romaine, même exercée comme elle le fut dans le premier millénaire, laissant à l'orient une large autonomie canonique. On ne voit plus dès lors, sans une évolution de la part des Russes, comment on pourra avancer dans ce domaine, puisque la primauté du pape est essentielle pour les catholiques, même si, comme Jean-Paul II l'avait dit, nous sommes ouverts à une discussion sur le mode d'exercice de cette primauté pétrinienne.  La raideur de l’Église russe à propos de la primauté papale est d’autant plus impressionnante qu’elle a été accompagnée, pendant le pontificat de Benoît XVI, d’une unité d’action croissante entre Moscou et Rome en ce qui concerne la défense de la vie naissante, de la famille, de la liberté religieuse. C’est en raison de cette perception favorable que, lorsque le cardinal Kurt Koch, président du conseil pontifical pour l’unité des chrétiens, s’est rendu, au milieu du mois de décembre 2013, en visite officielle à Moscou et à Saint-Pétersbourg pour y rencontrer le patriarche Kirill et le métropolite Hilarion, certains observateurs ont pronostiqué que de rapides progrès allaient être faits dans le dialogue entre Rome et Moscou, grâce au nouveau pape François. Mais tel n’a pas été le cas. Le cardinal Koch a certes constaté que de "grands espoirs" étaient placés sur le pape François. Mais tout ce qu’il a pu récolter, c’est la réaffirmation d’une volonté d’engagement commun des deux Églises "en ce qui concerne la défense de la famille et la protection de la vie". Une rencontre du pape et du patriarche de Moscou, qui serait la première de l’Histoire, semblait alors encore loin de se réaliser. D’autre part, en ce qui concerne la primauté du pape, le patriarcat de Moscou a fait en sorte de geler toute illusion concernant un assouplissement de son opposition. Quelques jours après le retour de Koch au Vatican et en pleines fêtes de Noël pour l’Église catholique, le patriarcat de Moscou a rendu public ce document dans lequel il réaffirme son désaccord avec le document de Ravenne et confirme à nouveau son refus total de reconnaître à l’évêque de Rome quelque pouvoir que ce soit – qui ne soit pas simplement "d’honneur" – sur l’Église universelle.  C'est donc une mauvaise nouvelle qui nous est venue à cette époque de Russie. Notons cependant un point positif. L’Église russe reste entièrement ouverte à une collaboration avec Rome pour la défense de la vie et du mariage chrétien, idéaux menacés, voire ridiculisés, dans le monde actuel.
Et puis cette année, le miracle s'est produit. Et ce fut le 12 février 2016, à la Havane, la rencontre historique entre François, pape de Rome, et Kirill, patriarche de Moscou et de toute la Russie. "Enfin nous nous voyons" s'est écrié le Saint Père. Les visages des deux hiérarques étaient radieux. La déclaration signée à l'issue de cette rencontre témoigne entre autres des préoccupations des deux partenaires pour la situation de persécution des chrétiens au Moyen-Orient. Elle affirme que l'Europe doit retrouver ses racines chrétiennes. Elle regrette que le modèle de la famille soit mis à mal dans la société actuelle et souligne l'identité de vue entre catholiques et orthodoxes sur les questions éthiques.

  Venons-en à nos rapports avec l'anglicanisme. 
De grands espoirs étaient nés, après le concile. Le temps n'était-il pas venu de voir se réaliser le rêve de dom Lambert : une Église anglicane unie et non absorbée, l'unité de foi et de vie sacramentelle dans une légitime diversité liturgique, canonique, théologique et spirituelle ? Le cardinal Willebrandts, de passage à Chevetogne au début des années 70, ne cachait pas sa certitude : notre génération verrait probablement ce miracle de la parfaite réconciliation entre Rome et Cantorbéry. Le problème théologique de la non validité des ordres anglicans trouverait une solution nouvelle et ingénieuse. L'anglicanisme deviendrait une sorte de patriarcat uni à Rome et autonome, et les anglicans seraient un pendant occidental des orientaux catholiques. Et c'est précisément sur la question des ordres anglicans qu'il fallut déchanter, au point d'en arriver à ce que la Congrégation pour la doctrine de la foi déclare il y a quelques années que la doctrine énoncée par Léon XIII sur les ordinations anglicanes était une doctrine définitive du magistère catholique.  En s'engageant dans l'ordination de femmes à la prêtrise, puis aux États-Unis dans celles à l'épiscopat, l'anglicanisme a rompu avec une tradition bimillénaire de l’Église indivise. Qu'aurait dit un Newman sur cette nouvelle rupture ? L'anglicanisme contemporain se distancie notablement du catholicisme et de l'orthodoxie. En outre ses positions on ne peut floues sur les questions éthiques, surtout aux États-Unis et au Canada, sur la question du mariage unisexuel, sont de notre point de vue très problématiques.  Il faudrait ici parler de ce qu'on appelle la "comprehensiveness" de l'anglicanisme. Ce dernier a deux tendances fondamentales à l'intérieur d'une même communion ecclésiastique : le High Church et la Low Church. La première tendance est catholicisante : liturgie très traditionnelle, certaines paroisses utilisent même le missel romain, voire le missel tridentin ; retour aux pères de l’Église et aux auteurs anglais du moyen-âge ; vénération pour tout ce qui rappelle le passé catholique de l'Angleterre etc. La Low Church est protestantisante : liturgies dépouillées, attrait vers le courant evangelical, prédications simples et plutôt fondamentalistes etc. On peut ajouter à cela l'existence de deux courants idéologiques face à la société contemporaine : les conservateurs, d'une part, et les libéraux d'autre part. Cela a toujours existé dans l'anglicanisme, mais cela s'est exacerbé, à la suite des évolutions récentes, si bien qu'il y a une véritable crise interne, qui est loin d'être résolue, et un malaise chez les anglicans plus traditionnels, qui sont ainsi tentés de passer au catholicisme. L’Église catholique a de fait accueilli dans sa communion des paroisses et des communautés religieuses, en créant l'ordinariat pour les anglicans. Notons que dans ce cas, l’Église catholique demande à ceux qui font ce passage de professer intégralement la foi catholique, et qu'il ne suffit pas d'être un anglican mécontent pour devenir catholique. La complexité de l'anglicanisme est devenue fort grande, car les divergences internes ne sont pas coupées au couteau. Il n'y a pas deux points de vue mais une multitude d'opinions différentes au sein de l'anglicanisme. Un fidèle pourra être libéral par ci et conservateur par là. Il pourra être amateur d'une liturgie traditionnelle et partisan de l’ordination des femmes. Il pourra être ouvert à l'ordination des femmes à l'épiscopat et résolument hostile au mariage unisexuel. D'ailleurs sur les questions éthiques, les evangelicals seront proches des conceptions catholiques (ainsi le mouvement pro Life aux USA voient côte à côte des évangéliques et des catholiques de droite). Sur l'ecclésiologie, ce sont par contre les tenants de la High Church qui sont proches de nous.   A ce sujet, il faut faire remarquer que les différences entre chrétiens et le manque d'unité n'existent pas tant entre les confessions qu'au sein même des confessions. Les divergences se cristallisent sur deux points : la place de la femme et les questions éthiques. Ainsi un catholique plutôt traditionaliste se sentira plus proche d'un orthodoxe, voire d'un évangélique fondamentaliste, qui prêche le salut dans le seul Jésus-Christ et qui lutte contre les déviances actuelles en matière éthique, que de son voisin catholique, nostalgique de mai 68. Nous sommes donc en pleine confusion, et tant qu'on n'y verra pas plus clair, le chemin œcuménique sera compliqué.

  Parlons pour finir du protestantisme. 
L'un des événements les plus marquants de ces dernières années fut l'accord sur la justification avec les luthériens en 1999, signé à Augsbourg. L'essentiel de cet accord peut se formuler ainsi : les condamnations mutuelles portées au XVIe siècle ne sont plus valides de nos jours et ne concernent pas les catholiques et les luthériens de notre époque. La théologie a de part et d'autre connu un affinement. Ces évolutions théologiques ont conduit à un climat plus serein, le temps des polémiques sur la justification est révolu. Nous pouvons nous retrouver et tenir un langage proche sur le sujet. Malheureusement d'autres problèmes ont surgi et il existe encore des désaccords nombreux, en ecclésiologie ou en sacramentaire par exemple, entre les deux confessions. Mais cet accord sur la justification aplanit la route vers la réconciliation. Cet accord provoqua une grande joie chez les oecuménistes et fut salué comme une grande victoire et la preuve qu'un dialogue théologique patient porte des fruits et amène des résultats positifs qui construisent l'avenir.  Dans les temps qui ont suivi, une certaine prudence dut s'afficher. La réponse de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi fut à la foi enthousiaste et nuancée. Le consensus n'était pas si entier que cela, des difficultés subsistaient. La réponse énumère plusieurs exemples de questions non résolues. En voici un : « pour les catholiques, la formule "à la fois juste et pécheur", telle qu'elle est expliquée au début du n° 29 ("Il est entièrement juste car Dieu lui pardonne son péché par la parole et le sacrement... Face à lui-même cependant il reconnaît… qu'il demeure aussi totalement pécheur, que le péché habite encore en lui..."), n'est pas acceptable. En effet, cette affirmation ne semble pas compatible avec la rénovation et la sanctification de l'homme intérieur dont parle le Concile de Trente. »  Mais beaucoup de réactions luthériennes ne furent pas favorables. Luther aurait été trahi. Il faut savoir que le luthéranisme en Allemagne ou dans les pays du nord passe pour le moment par une sorte de raidissement identitaire et que ce climat psychologique ne favorise pas une attitude plus ouverte envers le catholicisme. Être luthérien, cela veut dire d'abord ne pas être catholique-romain. On craint notamment que le cinquième centenaire de la réformation, en 2017, ne se transforme en une affirmation identitaire du luthéranisme contre le catholicisme. Pour le reste, les Églises protestantes historiques semblent s'éloigner de nous de la même manière que l'anglicanisme, en alliant un conservatisme confessionnel de façade avec un flou artistique sur les questions éthiques. A ce sujet on note à nouveau que le travail œcuménique se fait dans un contexte nouveau de libéralisme théologique et moral, que n'ont pas connu nos devanciers, en un temps où les choses étaient plus simples et plus claires.  Une autre chose importante à dire sur l’œcuménisme avec les protestants est l'apparition d'un facteur tout nouveau et qui était imprévisible et qui change totalement la donne. Je veux parler de la croissance exponentielle, une véritable bombe nucléaire, des communautés évangéliques et pentecôtistes, toutes marquées à la fois par la ferveur charismatique et le fondamentalisme biblique. Alors que les Églises protestantes historiques sont en crise, en diminution peut-être, ou à la dérive, les nouvelles communautés deviennent la partie majoritaire et la plus vivante de l'univers protestant.  Il y a deux choses à dire. Non seulement ils sont intransigeants sur le plan moral dans leur doctrine, mais aussi dans leur vie. Ce que beaucoup de catholiques en occident ne font plus, à savoir suivre les directives du magistère en matière éthique, eux ils le font. Ils sont par exemple viscéralement hostiles à l'avortement ou à l'homosexualité. Je prends l'exemple de la Roumanie que je connais bien. La communauté religieuse qui connaît la croissance la plus forte est celle des baptistes. Pourquoi ? Parce qu'ils ont tous des familles nombreuses, alors qu'orthodoxes et catholiques n'en ont plus. Un prêtre orthodoxe roumain de mes amis, le P. Grajdean, de Sibiu, ancien chef d'orchestre devenu prêtre, eut maille à partie avec la securitate, au temps où le régime surveillait de près les communautés religieuses importées d'Amérique. On le suspectait en effet d'être baptiste. Il avait cinq enfants.  Mais il y a aussi le côté négatif. Pour beaucoup de ces chrétiens évangéliques, l’œcuménisme est une activité satanique. Tout effort de rapprochement est à proscrire, seule compte la mission, du reste l’Église est invisible et elle unit dans le Christ tous les vrais croyants. Chercher une unité visible est une perte de temps, une illusion, une œuvre du diable. En outre chez certains de ces chrétiens, en particulier pentecôtistes, il y a une haine viscérale du catholicisme, dont ils sont souvent issus. Haine du pape, haine du culte marial : on brûle en public des portraits du saint Père, on déboulonne des statues de la Madone. De notre point de vue, il y a là quelque trait d'influence satanique.  Et cependant il y a des débuts de dialogue qui ont commencé avec ces nouvelles Églises. Certains finissent par faire montre d'une certaine ouverture.
  J'en resterai là. Malgré le contexte très différent de celui qu'on a pu connaître au temps de la fondation d'Amay-Chevetogne, notre communauté poursuit son travail pour l'unité. Nous avons progressé si on voit les choses dans une perspective longue. Mais la situation actuelle est bien complexe, comme du reste le monde actuel. De nouveaux défis sont lancés. Nous ne savons ce que l'avenir nous réserve, mais avec le pape Jean Paul II, dans son encyclique Ut unum sint, nous pouvons continuer sachant " que l'engagement pour l'unité des chrétiens est irréversible de la part de L'Eglise catholique"

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