dimanche 12 novembre 2017

Parabole des vierges, homélie 32e dimanche A

Homélie du Père Jean Geysens, moine de Chevetogne

Frères et soeurs dans le Seigneur,
Cette parabole nous entraîne dans une atmosphère typique du Proche-Orient : une fête de noce qui va durer plusieurs jours, avec des filles en cortège, un jeu de contraste entre l'obscurité de la nuit et la lumière des lampes. Prise à la lettre le tableau est difficile à représenter : les filles partent d'où ? Quelle est la distance à parcourir avec l’Époux jusqu'à la fameuse salle ? Où est l'épouse, on en parle même pas ? Où sont les garçons d'honneur ? C'est un peu confus...car justement, c'est une parabole, dont il faut essayer de saisir le message essentiel. Mais comme j'ai dit, il faut se plonger dans un milieu oriental, Sémitique, Arabe ou Juif, pour saisir le milieu de vie dans lequel Jésus raconte.

Voyons un peu se qui se passe. Il y a d'abord les jeunes filles. Le grec utilise le terme précis de vierges. Ceci appartient au symbolisme nuptial que l'on retrouve dans l'Ecriture. Pensez à l'Apocalypse : au chapitre 14, les compagnons de l'Agneau – le Christ Vainqueur – sont appelés vierges, ceux-là suivent l'Agneau partout où il va...jamais leur bouche ne connut le mensonge : ils sont immaculés (cf Ap 14, 4-5). Il y a donc une virginité au sens spirituel. Et puis, à la fin de l'Apocalypse,  un des sept anges dit au voyant : viens, que je te montre la Fiancée, l'Epouse de l'Agneau (Ap 21, 9). On a donc déjà trouvé l'épouse absente de la parabole. Mais revenons à la lettre du récit. Le fait que l'on y parle de dix vierges veut dire que nous sommes tous concernés. Il s'agit de tous les baptisés et même de tous les hommes/les humains comme on dit maintenant de bonne volonté, car la dimension spirituelle de l'humain est habituellement représentée par une figure féminine. C'est pourquoi on dit l'âme. La parabole s'adresse donc à des personnes qui sont déjà converties en principe, qui sont disciples, où qui essayent de l'être : on est tous invités et on est tous là avec notre lampe, en attente d'une rencontre. Il est clair que l'époux c'est la figure du Seigneur lui-même.
Or, c'est la lampe qui devient l'enjeu principal de l'histoire, si l'on peut dire. Ce n'est pas qu'on manque de lampes, c'est l'huile qui n'est pas présent en assez grande quantité. Et on revient aux deux types de personnalités spirituelles, représentées par les deux sortes de vierges : les prévoyantes, sages dans le sens de la sagesse et les insouciantes, folles dans le langage de la Bible. Le fou dans les psaumes c'est celui qui déclare dans son cœur : il n'y a pas de Dieu, et qui va à sa perte. La folie biblique, c'est manquer le sens de ce qui est essentiel dans la vie. La sagesse c'est oser penser à notre rencontre définitive avec le Seigneur. L'insouciance, c'est vivre seulement pour le monde visible qui passe. Je suis en train d'interpréter l'huile. Elle signifie en tout cas la pointe de la parabole, à savoir l'attitude de vigilance, d'attente. L'huile est indispensable pour que le feu, la flamme de la lampe brûle. Et ici on nous dit que c'est quelque chose dont nous devons nous occuper. Il faut y penser à temps. Faire quelque chose pour entretenir le feu de la foi, de l'espérance et de l'amour. Les vierges folles sont peut-être des braves filles – je brode sur la parabole – mais elles vivent de façon insouciante, disons même irresponsable, elles constatent qu'elles n'ont pas d'huile quand c'est trop tard, elles veulent aller en acheter en pleine nuit. On pourrait faire beaucoup d'applications. Il y a des gens qui n'ont rien contre la religion – disent-ils – mais qui remettent toujours à plus tard pour s'en occuper sérieusement. Puis c'est trop tard. La fin de la parabole sonne dur pour nos sensibilités de modernes. Pourtant c'est la même phrase terrible employée par Jésus aux personnes qui se limitent à lui dire « Seigneur, Seigneur », mais qui ne font pas la volonté du Père. « Je ne vous connais pas » : cela veut dire qu'il n'y a pas de relation vivante entre nous. Attention, la parabole ne veut pas faire peur. Ce n'est pas le but. Le but est d'exhorter à l'attente vigilante, l'attente avec l'huile qui est à portée de main. Ce n'est pas si difficile. Ne pas oublier l'unique nécessaire. Ecouter la voix du Seigneur chaque jour. Essayer d'être fidèle. Revenir quand on a été faible.
L’Époux qui vient est donc le Seigneur qui invite à la rencontre, à la fête dans la salle des noces. L’Épouse, c'est l'humanité nouvelle, dont l'Église est le sacrement, le signe, et dont la Vierge Marie est le symbole, la personnification. L'Élise en sa totalité est donc l’Épouse de l'Agneau.
Parlons encore vigilance. Ce n'est pas un état de tension constante. On peut bien dormir la nuit : « comme l’époux tardait, elles s'assoupirent toutes et s'endormirent », lit-on. Mais, pour employer le langage du Cantique des Cantique, c'est l'épouse – donc l'âme fidèle – qui dit : « je dors, mais mon cœur veille ». Le Bien-Aimé est toujours le bienvenu, Il est attendu. Le Christ nous appelle à garder la fidélité à sa parole, à son message, à ne pas nous satisfaire des biens de ce monde, à tel point que nous risquerions d'oublier la perspective ultime de notre existence, c.à.d. La rencontre avec le Seigneur pour toujours.
Au milieu de la nuit, il y eut un cri : Voici l’Époux ! Sortez à sa rencontre. Un de nos grands mystiques, le bienheureux Jean Ruusbroec l'admirable, qui vécut en la forêt de Soignes près de Bruxelles, au 14° siècle, a pris ce seul verset comme base d'un de ses ouvrages mystiques (Les Noces Spirituelles). Notre vie en ce monde, notre parcours, c'est comme une nuit, la nuit de la foi. L'annonce de la bonne nouvelle est que nous sommes aimés au-delà de notre imagination, que nous sommes attendus dans la fête sans fin. Mais il faut bien bouger, il faut sortir d'une existence superficielle et banale et s'ouvrir à la dimension spirituelle de la vie. Nous voudrions nous représenter la vie céleste. C'est pourquoi l'Ecriture et le Seigneur lui-même emploient des images : le banquet céleste, les noces etc qui évoquent et voilent en même temps. Il faut donc accepter et respecter le mystère, le non-voir. Un auteur anglais du Moyen-Age parle du nuage de l'inconnaissance – la présence divine – que nous pénétrons en quelque sorte par une brève et intense parole de prière, comme 'Dieu' – 'Amour'. Toutefois, il y a des vies qui nous parlent d'un ailleurs, ou plutôt d'une autre dimension, celle qui est cachée, de l'existence. Il y a des personnes dont l'existence a quelque chose d'épiphanique, qui sont déjà un peu transfigurées – je parle des saints, aussi les saints ordinaires – devenues transparentes pour la lumière d'en haut. Dans notre monde qui passe, déjà quelque chose de cette gloire future – les noces de l'Agneau avec l'humanité – fait irruption. Au détour des sentiers parfois difficiles de la vie la Sagesse vient à notre rencontre. Amen.

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