mardi 27 mars 2018

La prière de saint Ephrem, conférence, première partie

Voici une conférence que j'ai faite récemment aux oblats du monastère de Chevetogne sur la prière de saint Ephrem. J'ai gardé le style oral de ce texte.

Le Père Philippe m’a demandé de vous parler de la prière de St Ephrem, bien que je ne sois pas un byzantin ici, si ce n’est que je vais de temps en temps aux offices comme vous le savez et puisque au moins le dimanche, le samedi soir et une fois dans la semaine au moins, nous allons tous à l’église byzantine.
Je vais donc essayer de vous en parler. Alors, la prière que l’on appelle de Saint Ephrem, d’après les historiens, elle n’est probablement pas de Saint Ephrem lui-même parce que l’on a seulement des versions en grec ou en vieux slave. Alors que Saint Ephrem était un père de l’église du 4ème siècle qui écrivait en syriaque, il n’était ni un père latin ni un père grec mais un père oriental. A l’époque tout cela faisait une seule et même Église, il n’y avait pas encore les séparations qu’il y a maintenant. On pense donc que ce n’est pas lui qui l’a écrite mais plutôt que cela fait partie d’une tradition, d’un corpus de textes qui se réclament de lui. Comme c’est souvent le cas dans l’antiquité, à partir du moment où quelqu’un avait une certaine aura, on mettait sur son compte des textes dans le genre de sa pensée.
Enfin, on l’appelle la prière de Saint Ephrem. Elle n’est pas très longue et c’est une prière qui est utilisée dans le rite byzantin uniquement en Carême, elle est vraiment typique du Carême. Bien sûr, elle peut être utilisée dans la prière personnelle pendant le temps de Carême parce qu’elle exprime un peu la pénitence du Carême mais elle est utilisée dans la liturgie.

Je n’y suis pas habitué puisqu’en principe je ne vais pas aux offices byzantins mais d’après ceque j’ai pu comprendre elle est utilisée en semaine seulement. Parce que vous savez que le Carême byzantin est conçu différemment du nôtre en ce sens qu’essentiellement le temps de Carême est du lundi au vendredi ; samedi et dimanche ne sont pas comptés. C’est pour cela que le Carême commence plus tôt, légèrement plus tôt et dure 7 semaines ce qui fait 35 jours. On y ajoute le Samedi Saint qui est jour de Carême et comme le jeûne se poursuit jusqu’au milieu de la nuit cela fait donc 35 + 1 ½ donc 36 jours et demi. Cela fait donc le 10ème de l’année et les Byzantins comprennent le Carême plutôt comme la dîme à payer à Dieu. Dans une année, 36 jours et demi, un dixième de l’année où l’on fait spécialement plus que le reste du temps des efforts pour Dieu. Voilà comment c’est conçu.
Chez nous le Carême qui est quand même moins sévère, dure du lundi au samedi. Ce qui fait 6 semaines de 6 jours ce qui fait 36 jours plus les 4 premiers jours à partir du mercredi des cendres, ce qui fait 40 jours. Dans le rite latin, les 40 jours sont un rappel des 40 ans au désert du peuple hébreux et les 40 jours au désert de Jésus après son baptême. Ce sont deux logiques différentes.
Du lundi au vendredi, on utilise cette prière si j’ai bien compris à la fin des offices. C’est une prière de conclusion. Aux Présanctifiés auxquels j’assiste le mercredi, elle est dite deux fois.
Si vous êtes un peu habitués aux offices byzantins, vous voyez tout de suite, c’est ce moment où subitement on ne chante plus et le prêtre à l’autel tenant les mains vers le haut, récite une prière et il y a 3 grandes métanies.
Je vais maintenant vous en lire le texte, il y a plusieurs versions avec des différences entre les grecs, les russes, les roumains, les arabes mais on ne va pas entrer dans ce détail car ça concernerait plutôt les spécialistes.
Je prends une version qui est donnée par le groupe de prière St Damien qui est un groupe de prière pour jeunes qui est organisé par la fraternité de Tibériade ici dans la région et qui propose pour le Carême cette prière orientale dont il donne la traduction suivante :

Cette prière comprend 3 strophes, la première demande la délivrance de choses négatives, la deuxième est une demande de choses positives et la troisième est une conclusion générale.
La première STANCE de cette prière :

« Seigneur et Maître de ma vie, ne m’abandonne pas à l’esprit de paresse, de découragement, de domination et de vains bavardages »

Quatre vices si je puis dire sont évoqués.

La deuxième :

« Mais fais-moi la grâce à moi ton serviteur de l’esprit de chasteté, d’humilité, de patience et de charité. »

Parmi les variantes, ici notamment au lieu de chasteté ; j’entends plus souvent le mot tempérance. La tempérance c’est plus global, la chasteté c’est un aspect de la tempérance c’est la tempérance au niveau sexuel mais il n’y a pas que cela.
Dans une autre traduction, celle du père SCHMEMAN qui est un théologien orthodoxe liturgiste qui a beaucoup écrit sur le Carême (peut-être en avez-vous entendu parlé ce matin) ; lui dit l’esprit d’intégrité. C’est encore plus fort.

La troisième :

« Oui, Seigneur Roi accorde moi de voir mes fautes et de ne pas condamner mon frère. O toi qui est béni dans les siècles des siècles. »

Il y a là deux choses, voir mes fautes et ne pas condamner mon frère. Ne pas voir les fautes des autres mais uniquement les miennes.
C’est tout un programme de Carême évidemment qui est évoqué dans cette prière. Après chacune des 3 stances, on fait à chaque fois une grande métanie c-à-d que l’on fait d’abord le signe de la croix à la byzantine, on se met à genoux et l’on va avec le front jusqu’au sol c’est ce que l’on appelle la grande métanie qui se fait surtout en Carême. C’est un geste pénitentiel. Même quand on rentre à l’église en temps ordinaire on fait la petite métanie c-à-d un signe de croix avec une inclination profonde mais à d’autres moments on fait aussi la grande métanie, genoux à terre.
Métanie c’est un mot qui en grec veut dire conversion : métanoïa. Alors que la génuflexion chez les catholiques exprime plutôt l’adoration devant Dieu, la révérence.
La métanie dans le rite byzantin a un sens nettement plus pénitentiel parce que souvent c’est accompagné d’une prière comme celle-ci :
« O Dieu sois propice au pécheurs que je suis » c’est la prière du publicain.
Cette gymnastique de s’incliner, de se retourner, de se prosterner est vraiment comme un symbole du retournement de l’être devant Dieu, devant la sainteté de Dieu. L’homme se sent pécheur et se prosterne.

Nous allons maintenant regarder cette prière, chacune de ses parties et surtout dans la lumière dans ce temps de Carême qui est un temps de conversion, de pénitence.

Prenons la première : « Seigneur et Maître de ma vie »
Voilà comment on s’adresse à Dieu. Est-ce à Dieu le Père ou est-ce au Christ ?, ce n’est pas très clair. Chacun le comprend selon sa spiritualité, ses habitudes.
Comme dans le rite byzantin beaucoup de prières de l’office sont directement adressées au Christ, on peut peut-être penser que c’est le cas ici. On va prendre cette option-là mais cela n’a pas beaucoup d’importance.
En tous cas, celui que l’on invoque est appelé le Seigneur et Maître de ma vie ; on est donc face à son Seigneur, à celui qui est le Maître de ma vie.


Dans l’évangile selon St Mathieu, il y a cette parole de Jésus qui est très belle :
« Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau et Moi, je vous soulagerai. Devenez mes disciples, prenez mon joug car je suis doux et humble de cœur et vous trouverez le repos pour vos âmes ».
Je cite de mémoire mais vous connaissez cette parole qui est très interpellante évidemment et c’est dans ce sens là que je comprendrai ici cette thématique du Maître de ma vie.
Nous avons tous un fardeau dans la vie c’est notre faiblesse, nos maladies, nos limitations de tous genre, nos obscurités personnelles, nos souffrances, nos péchés aussi. Tout cela ce sont des choses qui sont sur nos épaules et Jésus nous invite à les lui donner, à les lui remettre, à nous abandonner à lui.
Nous avons tous un fardeau à déposer devant le Seigneur et spécialement pendant le temps du Carême.
« Seigneur et Maître de ma vie » lit-on ici dans ce texte diffusé par le groupe de prière St Damien ; « Seigneur et Maître de ma vie » il l’est. Sans cesse nous devons lui remettre notre vie afin qu’il puisse nous apporter la paix.
C’est peut-être déjà une très belle chose qui peut nous parler, c’est que en Carême ce que l’on essaye de trouver c’est cette paix profonde du cœur que seul le Seigneur peut nous donner. Il est le Maître de notre vie c-à-d qu’il agit dans notre vie mais à condition que nous le laissions faire et que nous lui remettions tous ce qui nous concerne.
Comme dit le psaume 36 : « Remet ton sort au Seigneur, compte sur lui, il agira ». Le Carême va nous permettre de remettre les choses à leur place selon le plan de Dieu. La prière de St Ephrem en est l’aide mémoire. Elle commence d’ailleurs par le commencement en remettant le Seigneur à la première place « Seigneur et Maître de ma vie ».
Le temps du Carême est un temps où précisément on va essayer toujours de remettre le Seigneur à sa vraie place, celle de Maître, de Souverain Seigneur.
La première conversion : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu », premier commandement.
A partir de là, il y a ce que l’on appelle l’obéissance à Dieu, redécouvrir l’obéissance à Dieu.
La loi de Dieu, les commandements de Dieu sont là pour nous aider à discerner entre le bien et le mal. Quand nous avons ce choix à faire, c’est en général assez clair même si parfois nous ne sommes pas toujours très honnêtes il y a quelque chose qui est de l’ordre du bien et son contraire qui est de l’ordre du mal. Comme on peut le lire dans le livre du Deutéronome, le Seigneur dit « Je vous place devant 2 chemins, le chemin de la vie et le chemin de la mort. Choisissez » c’est pour cela qu’il nous donne ses commandements. C’est pour nous indiquer où est notre vrai bonheur, où est le chemin qui mène à la vraie vie.
Mais la plupart du temps dans la vie, pour faire la volonté de Dieu, la loi c’est bien entendu les commandements de Dieu mais aussi la loi de l’Église que l’on appelle le droit canon, c’est même aussi la loi civile lorsqu’elle n’est pas contraire à la conscience chrétienne. On sait ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire.
Mais dans la vie pour vraiment obéir à Dieu tout au long de notre vie et pour faire sa volonté, la plupart du temps il ne s’agit pas seulement de choisir entre le bien et le mal.
La plupart du temps nous avons tout un tas d’autres choix à faire entre ce que l’on pourrait appelé deux biens différents et il faut choisir, ou entre le bien et le mieux. Quand on ressent un appel à une certaine sainteté à une certaine perfection, on sait très bien que ça c’est bien mais si je faisais ça aux yeux de Dieu ce serait mieux encore mais est-ce qu’il faut le faire ?
On dit le mieux est l’ennemi du bien, il faut discerner et la vie chrétienne est un lieu incessant de discernement, c’est pour cela que la prière, le recueillement, la réflexion sont si importants. A la question « Quelle est le propre-même du moine ? Qu’est-ce qui fait sa valeur spirituelle ? » ; un moine du désert répondait : c’est le discernement. La discrétion pour employer le mot latin. C-à-d que nous devons discerner nos pensées.
Alors les pensées et je vais un peu m’inspirer ici de tous les enseignements de St Ignace de Loyola dans ce qu’il dit sur le discernement spirituel.

« Les pensées viennent de nous-mêmes ou d’ailleurs » ces pensées qui vont faire l’objet de notre discernement. Ces pensées qui viennent de nous-mêmes sont celles qui nous sont personnelles où notre liberté personnelle s’est exercée. Par exemple vous avez eu l’idée de venir participer au week-end des oblats, bien sûr vous avez reçu une invitation ça vient donc un peu de l’extérieur mais vous avez décidé de venir et vous êtes venus, vous avez donc accompli et exécuté votre pensée. C’est une pensée qui vient vraiment de vous.
Il y a des pensées qui viennent, comme dit un commentateur, « comme du dehors ». Il y a des pensées qui viennent du dehors mais aussi certaines pensées viennent de nous mais en fait elles ne procèdent pas de notre liberté.
Et nous vivons cela sans arrêt. C’est par exemple, la mémoire, les souvenirs qui reviennent à la surface c’est involontaire. L’imagination, on dit c’est la folle du logis, elle est toujours en action. Cela ne procède pas de nos facultés spirituelles mais de la partie inférieure de l’âme pour reprendre les divisions traditionnelles parce que nous sentons que nous ne sommes pas aussi libres que cela dans ces cas là.
Le cas le plus fort, c’est évidemment l’obsession.
La mémoire est vraiment une chose indépendante de notre volonté parce que quand nous voulons nous rappeler quelque chose, le nom d’une personne, pas moyen. Et puis il y a des choses que l’on veut oublier sans y parvenir, elles reviennent. Des choses du passé qui subitement nous reviennent à l’esprit et qui nous perturbent. C’est pour cela que l’on peut parler de pensées qui viennent comme si elles venaient du dehors parce qu’elles nous submergent et nous font même souvent souffrir. C’est tout un monde de pensées dans lequel il nous faudra faire un discernement. Parce que, dit St Ignace de Loyola, il y a au fond deux esprits à travers ces pensées. Un père du désert définissait aussi le moine comme un martyr de la pensée.
Et donc l’essentiel de l’ascèse chrétienne c’est le combat contre les pensées. St Ignace a un peu synthétisé la question en disant le discernement c’est de savoir quelles sont les pensées qui viennent du bon esprit et quelles sont les pensées qui viennent du mauvais esprit.
Dans la vie monastique qui est une vie retirée ou l’on est beaucoup plus dans le silence, ce travail de discernement des pensées on doit le faire sans arrêt parce que l’on a vraiment un combat.
Au fond pendant le Carême, si nous vivons le Carême comme une espèce de vie monastique dans le monde c-à-d une espèce de retraite, on aura aussi à faire inéluctablement à ce combat des pensées qui sera un combat entre obéir à Dieu, Seigneur et Maître de ma vie, et lui désobéir.

Certaines pensées viennent du bon esprit, d’autres du mauvais esprit. Le mauvais Esprit est l’ennemi des âmes . Je me souviens de ce que disait le Père Maxime qui parlait ce matin, quand j’étais novice, il était notre zélateur et il avait dit lors d’une conférence : « Plus on avance dans la vie spirituelle, plus on se rend compte que le combat contre tout ce qui est mauvais, c’est un combat personnel. On a affaire à un mauvais esprit qui est derrière tout cela. Esprit que nous appelons le démon, le diable, Satan.
Alors il nous faut discerner ce qui vient du mauvais ou du bon esprit afin de ne pas tenir compte et dans la mesure du possible de repousser les pensées mauvaises et au contraire d’accueillir les pensées qui viennent du bon esprit et ce n’est pas si simple que cela parce que on peut se tromper.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire