mardi 27 mars 2018

La prière de saint Ephrem, conférence, seconde partie

Comme dit St Paul : «  Satan se déguise en ange de lumière » et on peut prendre des choses comme venant de Dieu alors qu’elles ne viennent pas du tout de lui et s’emballer.
Il y a parfois des pensées de montée vers une certaine perfection mais qui peuvent être des tentations.
Il n’y a pas très longtemps, j’espère ne pas trahir un secret, un monsieur me disait qu’il était en train de prier et qu’il avait eu cette pensée, apparemment tout à fait excellente en disant son chapelet, qu’il devait faire une chose très dure, très exigeante.
En faisant un discernement et en posant des questions, je l’ai détrompé en lui disant que cette pensée ne venait pas de Dieu. Ce n’est pas parce que vous priez que toutes les pensées viennent de Dieu. On peut très bien avoir en priant et il faut le savoir, dans le combat de la prière, des pensées mauvaises. Ce serait trop simple, il faut un discernement après coup à chaque fois. Ce n’est pas parce que l’on s’est senti appelé à faire telle chose en priant que c’est nécessairement de Dieu. L’art du discernement est difficile et à partir du moment où l’on avance dans la vie spirituelle il faut souvent recourir aux conseils d’un maître spirituel. On peut très facilement tomber dans l’illusion et se casser la figure.


St Ignace donne des règles dans ces exercices spirituels sur le discernement des pensées. Il y en a quelques unes, je vais m’en arrêter à une.
La première règle je ne m’y arrête pas car je suis persuadé qu’elle ne vous concerne pas.
Le diable a une tactique d’un certain genre vis-à-vis des gens qui vont de péché en péché, qui se foutent de tout, qui n’ont aucune vie chrétienne ; par contre pour ceux qui cherchent vraiment à aimer Dieu et à faire sa volonté ; ceux qui sont foncièrement orientés dans le bon sens, il a une tactique tout à fait différente.
Voici le critère de discernement que donne St Ignace :
Si une pensée, avec le temps bien sûr, parce que parfois elle peut être tout à fait différente dans un premier temps, comme le dit St Paul ; Satan se déguise en ange de lumière donc au début cela peut être un grand enthousiasme, un éclair de lumière très évident, c’est Dieu qui m’a parlé.
Mais si en restant sur cette pensée on constate qu’elle provoque du trouble, de l’angoisse, de la tristesse, de l’obscurité alors on peut en conclure qu’elle ne vient pas de Dieu. Il faut donc prendre le temps de discerner et voir éventuellement dans le cadre d’un accompagnement spirituel quelles sont les résonances dans l’âme de telles ou telles pensées.
Par contre le contraire peut arriver, une pensée peut nous faire peur dans un premier temps ; un peu comme la Vierge Marie quand l’Ange Gabriel lui est apparu. Elle a d’abord eu du trouble et puis cela s’est calmé et est devenu beaucoup plus clair.
Si en la méditant, en priant, en réfléchissant, on voit qu’une pensée provoque en nous une paix profonde, une joie profonde et la lumière alors dans ce cas ce serait le signe que c’est Dieu qui travaille notre âme.
St Ignace insiste aussi beaucoup et dans le temps du Carême c’est une chose que l’on peut vivre tout spécialement, sur le fait que la vie spirituelle, la vie chrétienne est essentiellement une vie d’alternance. Ça change tout le temps, selon des rythmes d’ailleurs personnels. Pour certains c’est de jour en jour et pour d’autres de semaine en semaine peu importe. On peut voir cela quand il y a une certaine durée comme le temps de Carême.
Ces deux phases sont celle de la consolation et celle de la désolation. On passe par des hauts et des bas.
Lorsqu’on est dans une phase de consolation dans la vie spirituelle, notamment dans la vie de prière ce sont des moments où pour nous tout est lumière. On est dans une clarté, une espèce d’évidence intérieure, une lumière qui provoque en nous une unité intérieure. On se sent en paix, profondément pacifié, sûr de Dieu, sûr de tout même.
En même temps cet état positif nous met dans un état de dynamisme spirituel. On voit par exemple que des choses que l’on fait difficilement en temps habituel comme des actes de charité envers les autres, eh bien ces actes coulent de source.
On est épanoui, tout nous sourit, tout est facile, c’est la consolation.
Par contre, à d’autres moments nous sommes dans la désolation et la désolation c’est tout le contraire. Nous avons sans doute chacun déjà vécu cela à certains moments.
Ce sont des moments où nous sommes dans la distorsion intérieure. On est cassé à l’intérieur de soi, on se sent mal dans sa peau, on se sent abandonné de Dieu éventuellement. On dirait « Il ne m’écoute pas », « Je prie, je ne reçois rien » … qui n’a pas vécu cela, la distorsion intérieure, l’angoisse ? On se sent inquiet, mal.
Ce sont des états que l’on peut connaître spécialement pendant le Carême.
St Ignace dit très bien que dans la désolation, quand on est dans cet état ; il faut patienter, continuer à prier. La prière à ce moment là est très aride et très difficile. Peut-être faut-il seulement dire son chapelet ou la prière de Jésus parce que l’on voudrait converser avec Dieu comme je le faisais avant mais je n’y arrive plus. Je suis éteint, il n’y a plus rien, ça ne me dit plus rien et il faut se forcer à prier d’une façon ou d’une autre.
Lorsque l’on est dans un temps de désolation, il existe une règle fondamentale qui est de ne prendre aucune décision. On est à ce moment dans un état où on ne peut pas prendre de décision parce qu’on ne voit pas clair. On est dans l’incapacité de voir clair pour faire ce que Dieu nous demande. On doit alors simplement attendre, patienter et prier en attendant que la consolation revienne.

Les décisions prises dans les temps de désolation sont souvent néfastes. Par contre dans la consolation les règles à suivre alors c’est d’abord qu’il faut rendre grâce parce que la consolation est toujours un don de Dieu. L’Esprit Saint consolateur que nous invoquons aussi souvent pour qu’il vienne nous consoler. De même dans la parole de Jésus, que je citais au début, on va au cœur de Jésus pour y trouver un soulagement. Ce n’est pas par nous-mêmes, quand nous sommes de nouveau dans la consolation, que nous y sommes arrivés. Il ne faut pas se l’attribuer en se disant « Ah je suis quelqu’un de bien ». C’était un peu ce que faisait le pharisien dans la parabole. C’est un don de Dieu donc il faut rendre grâce.
A ce moment là on est dans un état de clarté intérieur qui nous permet de prendre des décisions en faisant un discernement beaucoup plus facilement. Et quand on a pris une décision dans la consolation, quand on a vraiment pu discerner que cela venait de Dieu, et qu’on y a adhéré ; alors il faut s’y tenir parce que quand la désolation va revenir, la tentation sera de dire « J’avais décidé ça mais maintenant, c’est fini. C’est fini ce Dieu de lumière auquel je croyais. Je laisse tout tomber ».
Dans les phases de désolation, il ne faut surtout rien changer à ce qui a été mûrement réfléchi et décidé dans les phases de lumière.
Dans la consolation, on voit que les pensées viennent de Dieu, on a une paix stable et qui se confirme. Méfions-nous des mouvements superficiels car ce qui compte c’est toujours de voir ce qui se confirme.


Voilà de manière un peu résumée ce que disait St Ignace et pour illustrer ce thème du Seigneur, Maître de ma vie.
Il me dirige dans ma vie, à travers ce combat pour discerner ce qui vient du bon esprit et ce qui vient du mauvais esprit et aussi pour avoir les bonnes attitudes dans les diverses phases de la vie spirituelle parce que tous nous avons des hauts et des bas. Il y a parfois des jours de soleil et il y a parfois des jours où vraiment on peut se sentir dans un abandon complet. Pourtant, nous le savons, dans cet état là si nous prions cela a une grande valeur aux yeux de Dieu. Cela lui plaît même d’avantage. Une petite prière faite volontairement et avec conviction dans un moment de profonde déprime est certainement plus puissante qu’une longue prière faite avec facilité dans une phase de consolation parce que alors on est tellement bien et on se sent bien.


Quand la prière appelle le Seigneur, Maître, il ne s’agit bien sûr pas d’un tyran. Le mot « Maître » fait un peu peur mais il ne s’agit en aucun cas d’un tyran, ni d’un dieu qui étouffe. C’est aussi une phase de discernement car devant Dieu quand je pense à ça, est-ce que je me sens étouffé ou au contraire libéré, est-ce que je respire ?
Le Dieu auquel nous croyions n’est pas un dieu qui nous étouffe, qui nous menace ou nous juge, nous condamne. Cela n’est pas le Dieu de l’évangile car au contraire, Dieu est un père plein de bonté. Un Dieu qui libère et qui donne la paix.
Alors la première chose dont nous demandons la délivrance c’est la paresse. On est vraiment menacé par elle durant le Carême. La paresse c’est un ennui de l’amitié de Dieu à cause des efforts exigés. C’est ce que les anciens appelaient l’acédie, un des sept péchés capitaux dont l’un des signes les plus fort est la perte de l’envie de prier. Parce que l’on est peut-être fatigué, parce qu’on a déjà fait des efforts et que le Carême continue et qu’à un moment donné on s’essouffle. On a eu une overdose et on laisse tout tomber.
Le péché d’acédie ou de paresse spirituelle est un peu le péché capital de l’époque à laquelle nous vivons. Quelqu’un faisait remarquer que chaque époque a un peu son péché capital. Le 19ème siècle c’était un peu l’avarice, l’amour de l’argent, c’est le développement de la bourgeoisie.
L’époque de la guerre de 14 avec le nationalisme et tout ce fanatisme de l’époque c’est l’orgueil. Puis, après la guerre dans les années 50 à cause des restrictions qu’il y avait eu avant, c’était la gourmandise. Les années 60 avec la révolution sexuelle c’est la luxure. Et maintenant on pourrai dire en effet c’est l’acédie, la perte du goût pour la prière. C’est pour cela que les églises sont vides et qu’il y a de moins en moins de gens qui prient. Ils disent qu’ils prient chez eux mais cela reste à voir.
On constate une baisse très forte comme si le monde était fatigué de Dieu. L’acédie, la paresse entraîne la tristesse, la passivité, le manque de dynamisme. Notamment la sécheresse dans la prière mais prier dans cet état est encore plus agréable à Dieu.
Nous ne sommes pas maître de la qualité de notre prière mais de la quantité. La qualité on en est pas maître, « J’ai l’impression de mal prier », peu importe. Mais est-ce que je continue à prier autant que je me suis proposé ?, la quantité on en est le maître.

D’autre part, une des règles fondamentales de la vie spirituelle c’est qu’il ne faut jamais juger de notre prière. C’est une chose qu’il ne faut jamais faire. Les impressions que l’on peut avoir en priant ou après avoir prié n’ont aucune valeur indicative sur la valeur réelle de notre prière. C’est la foi pure et nue qui nous est demandée. Prier sans s’inquiéter de l’effet suggestif que cela fait en nous.

La deuxième chose un peu liée à la paresse, c’est le découragement. Le découragement est la pire des tentations du diable, spécialement en Carême. Le Carême est un temps où l’on va découvrir sa faiblesse et son péché. Notamment notre difficulté à tenir jusqu’au bout les bonnes résolutions prises au début du Carême.
Il peut aussi y avoir du découragement à cause de nos fautes. La double tactique du diable avant et après les fautes consiste justement en ceci. Quand nous sommes tentés par quelque chose, le diable va toujours nous dire que ce n’est pas si grave que cela et puis le bon Dieu étant miséricordieux, il comprendra …. Donc vas-y n’aie pas peur.
Alors si on cède, il renverse sa tactique et au lieu de relativiser la faute ; il la dramatise en disant « Vois-tu quel homme mauvais tu es ! Maintenant tu es perdu et Dieu ne te pardonnera pas».
Le but du diable est toujours, par nos fautes, de nous mener au découragement.

L’esprit de domination. Le temps de Carême est un temps où nous devons redécouvrir que la vraie sagesse consiste à savoir se mettre au dernier rang. Notre tendance profonde est de vouloir être le premier, c’est plus fort que nous d’ailleurs et dans les communautés c’est un problème que tout le monde vit. C’est déjà dans l’Évangile entre les Apôtres. Non seulement il faut résister à cela en demandant la grâce de nous tenir dans l’humilité mais il faut même se considérer plus pécheur que les autres. Cela reviendra dans la fin de la prière quand il dit « donne moi de voir mon péché et de ne pas juger les autres ».
Cela a l’air d’être un peu artificiel, on voit ça dans beaucoup de prières des siècles passés du genre « Seigneur, je suis le plus grand pécheur de la terre, je suis plus pécheur que tous,j’ai mérité l’enfer par mes péchés…. ».
En fait, l’expérience nous montre que si nous prions en se considérant comme plus pécheur que les autres, on arrive en fait à une véritable libération intérieure parce qu’on lâche complètement prise.

Et enfin, il faut se faire serviteur comme Jésus nous l’invite dans l’Évangile « Comme moi je me suis fait serviteur, vous aussi servez-vous les uns les autres ».
La vraie supériorité spirituelle, ce n’est pas cet esprit de domination mais au contraire par tous les moyens de se mettre au service les uns des autres.

Et enfin, le vain bavardage, 4ème attitude négative. Nous parlons trop, beaucoup trop et à cause de cela nous tombons dans toutes sortes de fautes qu’on appelle les fautes de la langue qui sont peut-être les plus répandues parmi nous. Les péchés de la langue.
St Jacques dans son épître dit très bien que l’homme qui ne pèche pas avec sa langue est un homme parfait.
Le vain bavardage c’est arrivé au silence intérieur. Pendant le Carême, il y a, comme le disait le cardinal Sarah dans un de ses livres, ce que l’on appelle la force du silence. Il y a beaucoup plus de force, de vie, de dynamisme dans un silence vraiment consenti que dans la parole et le bavardage.
Le Carême disait le père Lambert Beauduin, notre fondateur, c’est vraiment la grande retraite annuelle de l’église. L’homme, le chrétien, l’Église tout entière va pendant 40 jours au désert avec le Christ pour vivre dans la solitude et le silence.
On peut ici rappeler la fameuse parole du prophète Osée où Dieu s’adresse à son peuple, l’Église, son peuple personnifié par l’épouse infidèle.
Il dit : « Maintenant je vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur ».
Le Carême doit être pour chacun d’entre nous un temps de solitude et de silence. Nous devons passer ce temps dans la solitude de la prière qui est un cœur à cœur avec le Seigneur. Se laisser à nouveau séduire par Lui comme l’épouse infidèle qui revient aux amours de ses fiançailles. Nous devons cultiver le silence intérieur afin d’entendre la voix de Dieu qui nous parle au plus intime de notre conscience. Si nous ne savons pas faire taire en nous toutes les voix du monde et de la chair, nous ne serons pas capables de communier avec Dieu dans l’écoute de sa parole. Or c’est ce que Dieu veut pour nous, que nous puissions l’entendre nous dire l’essentiel, l’éternel. Cet essentiel c’est qu’il nous aime et qu’il veut nous donner le vrai bonheur, la vraie vie, la vie éternelle et qu’il attend de nous en retour notre amour et notre fidélité.
Les choses positives qui nous sont demandées, la chasteté ou la tempérance. Le temps de Carême c’est un temps de sobriété par excellence où nous devons renoncer, faire des renoncements à la nourriture par exemple en ne mangeant plus de viande, soit dans la boisson en évitant les alcools si nous y sommes habitués, en renonçant à la TV ou aux journaux à la surinformation, etc.
Chacun doit voir ce qui dans sa vie le pollue maintenant. On a tous des choses où l’on se rend bien compte qu’il faudrait se libérer. C’est cela la pénitence essentielle du Carême, la sobriété. L’humilité parce que c’est dans l’humilité que l’on peut recevoir l’Esprit Saint, c’est une porte ouverte à l’Esprit Saint. C’est dans l’humilité que l’on peut avoir de bonnes relations avec les autres. L’humilité est le grand moyen pour aimer car c’est notre orgueil qui nous empêche de devenir des saints.

La patience j’en ai déjà beaucoup parlé. Patience dans la prière, patience dans les moments arides, dans les moments de désolation, patience avec nous-mêmes. Savoir attendre, savoir que l’on ne peut pas avoir des fruits tout de suite.

Et pour terminer une citation de l’épître aux Hébreux : « Ne perdez pas votre confiance, elle a une juste et grande récompense ».
La patience doit aller de paire avec une confiance même si l’on ne voit pas tout de suite de résultat.

La charité qui est demandée en 4ème lieu. L’Amour c’est évidemment la vertu des vertus. Il faut bien savoir que la charité n’est pas quelque chose qui s’acquiert à la force du poignet. C’est d’abord une vertu surnaturelle, c’est donc un don de Dieu. C’est un cadeau gratuit, c’est une grâce comme le montre par exemple la charité envers les ennemis à laquelle l’Évangile lui-même nous appelle.
Voilà tout ce que l’on demande dans la prière.

A la conclusion « Accorde-moi de voir mes fautes », un père de l’Église disait « Il est plus important de voir ses fautes que de voir des anges ». C’est une grâce de voir ses fautes. Non pas pour se culpabiliser, ni pour se déprimer mais pour redoubler d’humilité et de confiance en Dieu et en même temps vis-à-vis du frère, ne pas le condamner, ne pas le juger. Dire lorsque l’on voit quelqu’un pécher « C’est lui aujourd’hui, mais ce sera moi demain qui ferai la même chose ».
Fin de cette conférence

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